Pendant longtemps, trèèès longtemps, j’ai pensé que mon corps était mon ennemi et que je devais absolument me séparer de lui, m’en « défaire » psychologiquement. Si j’avais pu n’être qu’une brume, un ectoplasme, je l’aurais fait…
Il me faisait tant souffrir, était la cause de tant de douleurs d’une violence si inimaginable que j’étais carrément fâchée avec lui.
Je lui en voulais de me faire subir tout ça, de m’imposer une vie si dure, de me condamner au célibat, à l’éloignement de ceux que je pensais être mes amis, de m’empêcher de vivre la vie d’une jeune femme de moins de 25 ans… Je ne pouvais pas sortir, boire un verre d’alcool (à cause de tous ces anti-douleurs que j’ingurgitais) aller danser, passer une nuit blanche à refaire le monde ou faire des folies de mon corps comme mes copines le faisaient parce que le lendemain et parfois pendant des semaines après, mon corps me le faisait payer cher. Très cher. Alors je devais prendre ces médicaments qui finissaient par me clouer au lit et depuis cette prison douce et moelleuse, je maudissais mon corps, mon ventre surtout, je le vouais aux pires horreurs et rêvais qu’on greffe ma tête sur un autre corps. Sous mon épaisse couette, mon corps disparaissait. Il n’était plus qu’un tas, informe, immobile, oubliable. Ma tête prenait le relais, et je rêvais…
Je rêvais d’un corps sublime, de plages dorées sur lesquelles je courrais, de l’eau fraîche dans laquelle je me jetais et nageais des heures durant… Je rêvais d’une peau douce, rayonnante, éclatante et bronzée grâce aux heures passées sous le soleil… Je rêvais de ces hommes qui auraient tout abandonné pour un simple regard de moi…
Puis les effets des injections se dissipaient… Au milieu de la brume, mon corps, le vrai, se réveillait… Les douleurs aussi… La vérité me giflait.
Mon corps n’était que souffrance. Il avait grossi, s’était presque déformé. Ma peau était ravagée par le mélange des traitements sans cesse modifiés et des effets désastreux des dérèglements hormonaux. Et les hommes… Han ! Les hommes ne savaient pas que j’existais, et c’était bien mieux comme ça puisque j’étais de toute façon incapable de leur offrir le B.A.BA d’un couple…
Et puis un jour…
Alors que j’étais dans une crise de douleurs aiguës, soudain, une petite voix s’est insinuée en moi et a déclaré « pauvre ventre, qu’est-ce que tu ramasses quand même ! » Cette pensée m’était venue on ne peut plus naturellement. Une simple constatation. Mais très vite, je me demandais pourquoi j’avais pensé à ça ? Qui se préoccupe de son ennemi juré ? Et surtout pourquoi avoir de la compassion pour cette partie de moi qui était la cause de toutes mes souffrances physiques et psychiques !! La réponse, je ne sais ni pourquoi ni comment elle m’est apparue si clairement, était dans la question : « une partie de moi ». Mon ventre n’était pas quelqu’un d’autre, mais bel et bien une partie de moi. Que je ne pouvais pas découper et enlever de mon corps, puisqu’il était mon corps, le mien.
Et alors, je ne sais comment, ni en combien de temps, je fus amenée à me dire que je m’en prenais à ce ventre, que j’avais personnifié, alors que peut-être bien, lui aussi en était victime. Je repensais à « Il était une fois la vie », ce dessin animé où on voyait le corps humain de l’intérieur avec un prof globule rouge qui expliquait à ses élèves globules rouges comment fonctionnait le corps dans lequel ils évoluaient et j’imaginais les fameuses cellules de l’endométriose migrant et allant s’attaquer à une paroi rose et innocente en la dévorant. Alors une nuée de minis robots arrivait pour tenter d’arrêter le massacre mais rien n’y faisait, les méchantes cellules, avec leurs gros nez bouffaient tout. Le cerveau était appelé en renfort, mais il ne savait pas quoi faire parce qu’il n’avait aucune commande spécifique pour cette attaque. Rien n’avait été prévu. Il envoyait alors le signal de la plainte, pour que l’humain appelle le médecin et pendant ce temps, toutes les défenses du corps étaient en action. La bataille faisait rage, les défenses tombaient les unes après les autres, les nerfs étaient au bord de l’implosion tant ils étaient sollicités… Enfin à l’extérieur, le médecin arrivait. Il faisait un injection de calmants, alors les nerfs pouvaient se détendre…
Mais la bataille continuait, la paroi était totalement ravagée, les cellules killeuses envahissaient tout l’espace, s’attaquant à de nouvelles parois. Les kystes et les adhérences se formaient, les globules rouges étaient fait prisonniers, les forces de combat tombaient les unes après les autres au champ d’honneur. Pourtant le corps continuait à se battre…
Un jour, une autre injection était faite et enfin le calme revenait un peu. Les cellules de l’endo se figeaient, comme anesthésiées. Les défenses du corps pouvaient souffler. Mais le cerveau, lui, était toujours en ébullition, parce que d’autres problèmes se pointaient ! Des bouffées de chaleurs, des crises d’angoisses, des crises de larmes et de colère… Les petits bonhommes du cerveau avaient sales mines. Ils étaient cernés, blafards, marchaient les épaules affaissées et le dos voûté. Les messagers ne courraient plus, ils n’en avaient plus la force depuis le temps que tout ça durait… Et en plus, les cellules killeuses commençaient à se réveiller…
Et c’est à ce moment précis que je compris que mon corps n’était pas en cause. Ce n’était pas lui qui me faisait souffrir, mais lui qui souffrait. Ce n’était pas lui qui me faisait subir, mais lui qui subissait. Il n’était pas l’agresseur mais la victime ! Et moi, je l’avais abandonné… Alors qu’il avait besoin d’aide, je l’avais complètement laissé tomber et mon pauvre cerveau ne savait plus quoi faire !…
Alors j’ai pris la décision probablement la plus importante de ma vie, celle qui m’a sauvée, j’ai décidé de me réconcilier avec mon corps et de tout faire pour le protéger, le chouchouter et l’aider à mener son combat.
Je me suis mise à l’écouter, à lui donner des anti-douleurs avant qu’il n’en puisse plus pour éviter l’épuisement des nerfs, j’ai cherché comment lui trouver une cavalerie, je l’ai cajolé de l’extérieur, lui ai permis d’avoir des moments de répit, de douceur, de plaisir même… Et je voyais mes petits bonshommes toujours au combat mais avec un moral d’acier…
Et petit à petit, tout doucement, mon corps est redevenu le meilleur ami de ma tête, je suis redevenue une seule personne : moi. Version commando, certes, mais moi quand même. Je crois que j’ai bien fait, parce qu’ensemble on a réussi a franchir de sacrés caps : avoir confiance en nous, nous ouvrir à l’amour, rencontrer l’homme de notre vie, le séduire et le garder… On a même réussi à gagner quelques batailles de temps en temps ! On a eu droit à quelques périodes de rémission, parenthèses enchantées… Et puis notre plus belle victoire, la grossesse, spontanée, naturelle. Et cet enfant sorti de nous si parfait…
Chacune de ses victoires, de la plus petite à la plus miraculeuse, nous a renforcés. La guerre n’est pas encore gagnée, et l’armistice est encore loin. Dernièrement, certains organes trop envahis nous ont quittés. C’est la mort dans l’âme que mon corps et moi l’avons fait, mais ce sacrifice n’est pas vain. Il nous donne une sacré avance. Alors nous avons l’espoir de pouvoir enfin goûter un peu au repos…
Si je quitte mes métaphores, j’avoue alors que tout n’est pas toujours rose depuis cette réconciliation et que ma famille, mes ami(e)s et mon psy font partie de la cavalerie… Qu’il a fallu que je subisse (et mon entourage avec moi) encore et encore des horreurs. Mais maintenant que je suis une, je suis plus forte. Et dans les moments de faiblesse, j’essaie de m’en rappeler, de replonger en moi pour m’écouter et refaire ainsi le plein de courage et d’énergie…
Psst... Aidez-moi à développer ce blog en cliquant juste en-dessous sur un des petits boutons pour le partager sur vos réseaux sociaux ou en le recommandant à vos amis par mail !
Psst... Aidez-moi à développer ce blog en cliquant juste en-dessous sur un des petits boutons pour le partager sur vos réseaux sociaux ou en le recommandant à vos amis par mail !